samedi, juin 02, 2007

Défiler (Ne pas se)

La Marche des Fiertés, c'est tout le contraire d'une marche militaire. C'est un espace et un temps sociaux où l'on peut abandonner cet "uniforme civil" par lequel on manifeste son appartenance à la société civile et civilisée (voire à la "bonne" société), les seules "distinctions" autorisées étant celles qui sont "utiles" à la dite société (comme l'énonce la déclartion des droits de l'homme et du citoyen), cest-à-dire les insignes ou lesindices de son rang dans l'odre social, du standing auquel on aspire ou prétend, etc. Mais hors de cet espace-temps, l'epace-temps "normal" n'est pas suspendu, l'ordre continue à régner. La Marche a désormais droit de cité, mais les Fiertés n'ont pas encore droit de carnaval sur la cité. Ceux qui s'y amusent à transfigurer leur "corps de misère" en "corps de gloire" par des voies "hérétiques" s'exposent donc (tant qu'ils restent dans ses limites) à des formes douces d'excommunication - par exemple, au "ridicule" - c'est-à-dire à ne pas être pris au sérieux par les gens qui aiment à se prendre (et à ce qu'on les prenne) au sérieux. Bien heureusement (pour combien de temps encore), ce ridicule ne tue plus (ou plutôt il ne tue plus que "ceux qui y croirent", comme dirait Charles Pasqua) : il n'a plus les moyens de sa politique.

Mais enfin, si nous ne pouvons pas les oublier le reste de l'année (le reste de l'année, c'est leur "Marche" à eux, et ils ne se privent pas d'exhiber leur fierté d'"en être" - du bon côté de la barrière, du batôn, c'est-à-dire de ceux qui, à vaincre sans péril, triomphent sans gloire : c'est dire s'il n'y a pas de quoi être fier), efforçons-nous au moins de les oublier aujourd'hui et contentons-nous d'admirer les artistes.



Parfois, à l'école, des enfants se moquent de moi, parce je porte un "bonnet de fille", disent-ils. Voici ce que j'aimerais leur répondre : "les machines binaires sont des appareils de pouvoir pour casser les devenirs : tu es homme ou femme, blanc ou noir, penseur ou vivant, bourgeois ou prolétaire ?" (Gilles Dleuze, Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977)



La Marche des Fiertés, c'est aussi le contraire d'un show, d'un défilé ou d'une exhibition. C'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile à comprendre et à faire comprendre.



Aussi, je laisserai la parole à un grand pédagogue :

"Là nous n’avons plus de secret, nous n’avons plus rien à cacher. C’est nous qui sommes devenus un secret, c’est nous qui sommes cachés, bien que tout ce que nous faisons, nous le fassions au grand jour et dans la lumière crue. C’est le contraire du romantisme du « maudit ». Nous nous sommes peints aux couleurs du monde. (…) Le grand secret, c’est quand on n’a plus rien à cacher, et que personne alors ne peut vous saisir. Secret partout, rien à dire. (…) Nous nous faisons chanter nous-mêmes, nous faisons les mystérieux, les discrets, nous avançons avec l’air « voyez sous quel secret je ploie ». L’écharde dans la chair. (…) On invente toujours de nouvelles races dé prêtres pour le sale petit secret, qui n’a d'autre objet que de se faire reconnaître, nous remettre dans un trou bien noir, nous faire rebondir sur le mur bien blanc. (…) Ton secret, on le voit toujours sur ton visage et dans ton œil. Perds le visage. Deviens capable d’aimer sans souvenir, sans fantasme et sans interprétation, sans faire le point. Qu’il y ait seulement des flux, qui tantôt tarissent, se glacent ou débordent, tantôt se conjuguent ou s’écartent. (…) Chaque ligne où quelqu’un se déchaîne est une ligne de pudeur, par opposition à la cochonnerie laborieuse, ponctuelle, enchaînée d’écrivains français." (Gilles Deleuze, Claire Parnet, op. cit.)



"L’homme ne devient animal que si l’animal, de son côté, devient son, couleur ou ligne. C’est un bloc de devenir toujours asymétrique. Non pas que les deux termes s’échangent, ils ne s’échangent pas du tout, mais l’un ne devient l’autre que si l’autre devient autre chose encore, et si les termes s’effacent. C’est quand le sourire est sans chat, comme dit Lewis Carroll, que l’homme peut effectivement devenir chat, au moment où il sourit. Ce n’est pas l’homme qui chante ou qui peint, c’est l’homme qui devient animal, mais juste en même temps que l’animal devient musical ou pure couleur, ou ligne étonnamment simple : les oiseaux de Mozart, c’est l’homme qui devient oiseau, parce que l’oiseau devient musical." (Gilles Deleuze, Claire Parnet, op. cit.)