dimanche, mars 04, 2007

Même.

Je ne crois pas être en mesure d’apprendre aux lecteurs de ce blog quoi que ce soit qu’ils ne sachent déjà. A ma connaissance (mais j‘admets volontiers qu’elle est loin d’être infiniment étendue), les seuls à le fréquenter sont des gens qui me fréquentent également dans la vie de tous les jours. Par conséquent, ils connaissent « le juif de tous les jours » et non seulement « le juif du sabbat » (pour parler comme Marx). A mon sens, ils savent donc déjà l’essentiel. (Première révélation, donc, pour ceux qui ne le sauraient pas encore : je suis resté marxiste. Indécrottablement marxiste. Et, bien entendu, « marxiste de tous les jours ». Autre révélation - volontaire, celle-là, histoire de ne pas vous induire en erreur : je ne suis pas juif, même « de tous les jours » - quoi que : notre professeur de philosophie de khâgne m’a dit un jour que je mériterais de l’être - ce sont ses propres termes. Sachant qu’il avait été l’année passée l’ « auteur » - le mot ne convient vraiment pas, mais passons - d’un lapsus malheureux sur le sujet, je me suis demandé comment je devais le prendre. Je me le demande encore.) L’essentiel et même, je dois bien l’avouer, à ma grande honte, le reste, toute le reste, même le plus irréductiblement inutile, même le plus indéniablement embarrassant. Je suis pour mes proches comme un livre ouvert - un livre, hélas, parfois, bien du mal à refermer, non parce qu’ils seraient tombés sur quelque chapitre captivant, mais bel et bien sur le piège à loup qui y tient lieu de marque-page. (Nicolas en sait quelque chose, lui à qui ma compagnie a trop souvent valu de se retrouver dans la position de Nick Carraway.) Le reste, tout le reste ou plutôt, pour rester honnête, tous les restes, car il est bien sûr des détails qu’il m’a été impossible de leur révéler (m’échappant sur le moment, peut-être pour toujours) ou qu’il ne m’a pas paru nécessaire de leur révéler (il faut croire que Leibniz à raison, au moins dans mon cas : je ne suis automate qu’à 75 °/° - mais je compte bien améliorer mon score !) voire qu’il m’a paru nécessaire de ne pas leur révéler, ne serait-ce que pour ne pas mettre en cause des tiers.

Aussi mon propos ne dépassera-t-il pas, j’en ai peur, celui de la platitude du pays vanté par Jacques Brel. (« Pour ce que ça nous change ! », me direz-vous.)

1. Je dois avoir six ans. Mon meilleur copain m’a poussé du haut du toboggan - comme d’habitude - sauf que cette fois il m’a aussi poussé hors du toboggan. Résultat : fracture ouverte. Mais on en est pas encore sûr. Le médecin veut découper la manche de mon sweat shirt. Mon sweat shirt à l’effigie de « iti » (E.T. en V.O.). Je m’y oppose. Je préfère encore qu’on me casse le bras une deuxième fois. On en est peut-être pas passé loin. Je ne sais même pas comment j’ai pu m’enticher de ce macguffin (sans doute parce que c’en est un ! Autrement dit - en langue de bois freudo-marxiste - un fétiche). Je veux dire : je l’ignore aujourd’hui encore. A l’époque, je n’ai pas encore vu le film. Je ne le verrai que bien plus tard, peut-être même seulement une fois passé à l’âge adulte - et devenu passablement cinéphile - et, bien entendu, je ne l’aimerai pas. Quand je pense à la souffrance que j’ai pu endurer pour une cause aussi dérisoire… (Même si, à bien y réfléchir, la cause véritable n’était peut-être pas si dérisoire que ça : où va se loger, parfois, le sentiment de notre intégrité !) Parfois, à l’occasion d’une séance de lecture - ou de cinéma -, je me demande si je parlerais sous la torture. (Si le livre - ou le film - est un minimum honnête, on n’a pas trop de doutes. « Nul ne sonde les reins ni les cœurs - à part Dieu. » dit quelque part un autre Emmanuel - Kant -, mais la torture est prométhéenne, elle ôte à Dieu ses prérogatives - quand elle n’est pas faite en son nom : les reins et les cœurs, elle les sonde à sa façon, à la lettre parfois, et le résulte du sondage est pratiquement toujours le même : le « oui » l’emporte, à une écrasante majorité, et il l’emporte, non pas tellement sur une infime mais irréductible minorité de « non » que sur une large masse de votes « blancs » : ceux qui sont morts avant d’avoir parlé.) Bref, vous l’aurez compris, quand je dis que je me demande si je parlerais sous la torture, je ne veux pas dire que je me demande si j’appartiens aux petits cercles d’élus qui surmontent l’épreuve de la torture (comme s‘il s‘agissait d‘un concours!), je ne crois même pas appartenir à la minorité héroïque (ou fanatique) qui se tait jusqu’à la mort, non, je me demande simplement si ma faible constitution me fera tombe raide dingue ou raide mort avant d’avoir parlé et si, dans le cas contraire, j’aurais encore la force d’avoir honte en repensant à cette histoire de sweat shirt (parce qu’en dehors de ça, y’a pas de honte à parler sous la torture, hein, la torture fait honte, mais pour d’autres raisons). Ah, oui, dernier détail : mon coude porte encore les marques de ma déchéance. Je les exhibe rarement. Rarement de propos délibéré, en tout cas. Ce ne sont pas des blessures de guerre. (En fait, maintenant que j‘y pense, ça ne ferait pas beaucoup de différence : la plupart des blessures de guerre, ce ne sont pas des choses qui se montrent.)

2. Je fais partie du contingent de « faibles d’esprit » que la contemplation des exploits de Judo Boy a amené à s’inscrire dans un club. Je me suis arrêté à la ceinture jaune, il me semble. (C’est-à-dire pas très loin.) Les séances d’entraînement devaient me faire rater Astro Boy, un truc dans ce goût-là. Ah, les garçons… (Bon, je vous rassure : entre-temps, j’ai grandi, j’ai vu mon quota de films de guerres, je ne me suis pas engagé pour autant. Bon, c’était peut-être parce que j’avais lu Astérix à un âge encore tendre : « Engagez-vous, rengagez-vous qu’ils disaient ! ») Ah, oui, et j’ai fait de la danse aussi.

3. Je suis allé à l’église et même au catéchisme; j’ai été baptisé et même confirmé - un peu plus et ça se terminait en ordination, cette histoire ! Quand je pense à tout ce que j’ai pu faire par complaisance, j’ai honte. Bon, ça, au moins, je me dis que je peux le défaire.

4. Je n’ai pas participé à la minute de silence censée saluer la mémoire de François Mitterrand. Ni à celle censée témoigner notre compassion aux victimes des attentats du 11 septembre 2001. (En ce qui concerne la première de ces abstentions, il me faut remercier au passage Marjolaine Lenel : si tu n’avais pas été là ce jour-là, je ne sais pas ce que j’aurais fait ; si jamais tu lis ces lignes, sache que j’ai conscience de te devoir une fière chandelle.) Par contre, j’en ai fait une tout seul dans mon coin (même si je suis bien sûr que bien d’autres en faisaient de même dans leur coin, sans concertation) après avoir vu V for Vendetta. (« Ils sont morts cent-dix fois, pour que dalle et pourquoi? », chantait Ferré; réponse de la Wacharski Bros : « Pour qu’on les tue une cent-onzième. »), ainsi qu’un tas d’autres fois - dont je ne parlerai pas, parce que je serais encore moins léger -, après bien d’autres attentats à la décence humaine la plus élémentaire auxquels ils m’a été donné d’assister. Comme quoi, j’ai perdu le sens du péché, mais j’ai gardé celui du sacré.

5. « Make ever day a holy day. » : sur mon avant-bras, certains matins, j’écris ce précepte pour être sûr de ne pas l’oublier.

6. Je me méfie des imitations et surtout de celles de Laurent Queyssi, qui essaie régulièrement de me faire croire qu’il imite très bien Garcimore, Alors qu’il imite très mal Apu.